Il faut savoir que la linguistique regroupe un certain nombre d'écoles qui ont toutes en commun d'avoir le langage comme objet d'étude mais qui n'abordent pas forcément les problèmes du même point de vue.
Les linguistiques internes sont des disciplines autonomes. On y trouve les linguistiques structurales proprement dites (fonctionnalisme, distributionnalisme, psychosystématique, générativisme reliés au structuralisme à des degrés divers) et les linguistiques énonciatives qui en découlent. Certaines de ces dernières, comme celle de Culioli, se considèrent comme post-structurales. De plus, certaines linguistiques dites internes se suffisent à elles-mêmes alors que d'autres sont associées à une discipline différente (sociologie, ethnologie, psychologie, neurologie...). Par exemple, la sociolinguistique étudie la langue comme révélateur sociologique.
Avant 1916 on s'occupait surtout de linguistique historique (philologie). Saussure était à l'origine un spécialiste de l'indo-européen. En 1875, il avait publié un ouvrage diachronique sur les voyelles de l'indo-européen.
En 1916, deux de ses étudiants publient -> Saussure : « Cours de linguistique générale » (1916)
De 1930 -> 1975 on constate l'hégémonie du structuralisme
Les linguistiques énonciatives apparaissent en 1956 avec « La nature des pronoms » de Benveniste et n'ont cessé d'évoluer depuis.
La linguistique structurale est un courant qui réunit un groupe d'écoles dans lesquelles la langue est étudiée comme un système doté d'une structure décomposable.
Selon les courants la sémantique est mise à l'écart ou intégrée dans les autres grandes catégories. Dans le cadre de ce cours nous postulerons pour la seconde vision des choses. De la même façon certains linguistes préfèrent parler de morpho-syntaxe plutôt que de séparer radicalement les domaines de la morphologie et de la syntaxe sur lesquelles sont basées les grammaires scolaires.
Ainsi le langage est découpé en niveaux (strates), chacun étudié par une discipline qui lui est propre :
traits |
Phonétique |
Phonèmes |
Phonologie |
Syllabe |
Morphologie |
Mots |
Lexicologie |
Propositions |
Sémantique |
Phrases |
Syntaxe |
Énoncés |
Énonciation et pragmatique |
Le structuralisme a pour qualité d'être rigoureux.
Le revers de la médaille est une tradition réifiante
(chosifiante) venant de la philologie (étude des langues anciennes)
et de la philosophie du scientisme et du positivisme d'Auguste Comte,
du monisme. La démarche découlant des sciences
de la nature consiste à purifier l'objet d'étude.
C'est la tradition aristotélicienne. Les phénomènes
langagiers sont considérés comme unitaires, stables. On
est dans la logique du réductionnisme : On doit faire entrer ce
qu'on décrit dans un moule rigide, quitte à découper ou
à allonger. (Mythe du lit de Procuste)
1. Fonctionnalisme (École européenne de Martinet) | Ce courant dégage une procédure pour analyser la phonologie,
puis la généralise aux autres niveaux. (morphologie, lexicologie,
syntaxe).
Les unités n'ont de valeur linguistique que par rapport à leurs possibilités d'opposition ou de combinaison. |
2. Distributionnalisme, école américaine,en parallèle au fonctionnalisme. (Harris et Bloomfield) | Le distributionnalisme a eu ses heures de gloire des années
1930 à 1950. Cette école est issue du behaviorisme
avec l'idée du comportement langagier en stimulus /réponse.
On se base sur un empirisme radical, sur ce qu'on constate. La sémantique
est considérée comme du mentalisme. La langue est un corpus
(un recueil de données linguistiques brutes dont on a une trace
perceptible) et la place du sens n'est pas dans la linguistique. La description
se fait selon le modèle de la linguistique anthropologique lors
de la découverte d'une langue étrangère.
L'un des grands ouvrages en est : Bloomfield (1933), Language Série de combinaisons et de sélections dans le paradigme qu'on installe sur le syntagme. |
Les linguistiques structurales vont influencer :
a . La linguistique générative de Chomsky. | Pour le mouvement génératif, on part de la syntaxe dont on dégage un corps de concepts puis on les généralise à la phonologie, la morphologie et la sémantique. |
b. La psychosystématique de Gustave Guillaume | Dynamique basée sur la morphologie. |
PARADIGME |
SYNTAGME |
Axe de sélection sur lequel on peut effectuer des commutations | Axe de combinaisons où on opère des permutations |
ex. "j'ai vu mon […]"
On peut illustrer cette idée d'axe et de connexion de contexte
par rapport à la connexion d'opposition par le principe de la machine
à sous.
|
Dans un exemple comme:
À un second niveau, celui du morphologique, on observera la
structure "il a -u" où « u » joue un rôle fondamental. On verra qu'on a affaire à deux
passés composés de deux verbes du même groupe commutables
sur un axe paradigmatique.
Pour résumer, nous dirons qu'aux yeux des structuralistes, les formes linguistiques, quelles qu'elles soient, sont reliées entre elles selon deux fonctions :
Le langage humain se singularise par le phénomène de la double articulation :
La première articulation est constituée par les unités
significatives que sont les unités lexicales et grammaticales.
Le unités distinctives dépourvues de sens en elles-mêmes
forment la deuxième articulation.
On peut schématiser de la façon suivante :
Nomenclature |
Structure |
liste de mots ex: dictionnaire |
agencement de combinaisons |
On peut faire une comparaison avec un jeu d'échec. Chaque pièce
se déplace différemment sur l'échiquier, mais la combinaison
de ces pièces fait que chaque pièce prend sa valeur par rapport
au reste du jeu.
À chacun des signifiants et signifiés que Louis Hjelmslev
(1968) appelle expression et contenu, on peut attribuer une
forme et une substance. Ainsi, on pourrait faire la représentation
suivante :
FORME |
SUBSTANCE |
|
EXPRESSION (= signifiant) |
phonèmes, morphèmes, lexèmes, syntagmes |
phones, morphes, prédication, énoncés (production physique et individuelle des formes) |
CONTENU (= signifié) |
Concept en système, délimité, spécifique et distinctif |
Matière |
Dans la tradition stucturale née de Saussure | la langue est un objet d'étude extérieur au monde et s'oppose à la parole et ne prend pas en compte les situations discursives. |
Toutefois, en grammaire générative | on considère la langue en mouvement et on envisage le concept de "locuteur idéal »pourvu d'une compétence qui sera mise à profit lors de la performance. Cependant la co-énonciation n'est pas prise en considération. |
Les énonciativistes | pensent que qui dit énonciateur implique co-énonciateur
(allocutaire).
Ils prendront le problème sous l'angle du repérage (localisation d'une notion par rapport à une autre notion ou par rapport à la situation), et remarqueront que l'un de ces énoncés n'est pas autonome et implique un ancrage contextuel ou situationnel pour être considéré comme valide. Au niveau du verbe: - ordonnancement des procès, - procès par rapport à la situation présente. « Pierre, il ne se sent pas bien, il a bu ». Par ailleurs, on a affaire dans les deux cas à un procès accompli au moment de l'énonciation. Cependant, on remarquera le fait que « pu » appelle généralement une suite et que l'énoncé perd sa signification, sans ce repérage : « Il a pu voir Marie. » De plus, « bu » marque le constat d'un procès, alors que « pu » renvoie à une modalité, c'est à dire un commentaire de l'énonciateur sur les propriétés du sujet. |
L'analyse des formes se fera d'un point de vue différent selon les niveaux d'analyse:
Au niveau syntaxique | fonction du constituant |
Au niveau sémantique | rôle de la notion |
Au niveau énonciatif | statut de l'information |
Lorsqu'on analyse les formes, tous les niveaux devraient être pris en compte.
Ainsi le même objet linguistique pourra changer d'étiquette selon le point de vue de l'analyse :
Phrase | sur le plan formel |
Proposition | sur le plan sémantique |
Énoncé | sur le plan énonciatif |
Il s'agit d'un groupe d'écoles de linguistique étudiant le langage tel que mis en situation par l'activité d'un énonciateur.
Avec l'énonciation, c'est l'acte même de produire un énoncé et non simplement l'énoncé lui-même qui est étudié.
C'est la langue dans son utilisation qui est étudiée, et non la langue réifiée comme une langue morte, comme c'est le cas pour le structuralisme qui considère le référent comme ne faisant pas partie de la langue mais du monde. Ce dernier ne fait pas partie des objets de réflexion.
Ainsi, contrairement aux structuralistes qui pensent qu'on ne peut pas connaître les sens d'un mot sans l'opposer ou le combiner à d'autres formes linguistiques, les énonciativistes pensent qu'on peut se passer du contexte linguistique, si la situation nous met en présence du référent.
ex. En forêt, l'énonciateur pourra dire :
Une oronge est un champignon
mais aussi :
Une oronge, c'est ça.
Tiens ! Une oronge.
sans faire appel au contexte linguistique.
Les formes linguistiques sont prises en charge par des énonciateurs et reçues par des co-énonciateurs qui y répondent. Le fait qu'il y ait un énonciateur et un co-énonciateur détermine le fonctionnement des formes. On peut même dire que le fait qu'il y ait un énonciateur et un co-énonciateur détermine la valeur sémantico-syntaxique des formes.
Benveniste | Les deux articles les plus considérables sont :
« La nature des pronoms » (1956) dans lesquels il pose les jalons de l'énonciation sans la nommer « L'appareil formel de l'énonciation » (1970) où il explique les fondements de l'énonciation en connaissance de cause. Benveniste se réclame du structuralisme de Saussure et rend hommage à Roman Jakobson. Il remet en question la dichotomie langue/parole, opposition introduite de façon opératoire par Saussure. « Rien n'est dans la langue qui n'ait d'abord été dans le discours ». On lui reproche de mélanger l'activité de langage et le monde. L'une des questions qu'il se pose préalablement est : Quel est le signifié de « je » dont le référent varie en fonction du locuteur, instance de discours ? Certaines formes ne sont pas aussi stables que « table » : Emmène-moi ailleurs. Demain, on rase gratis Passe-moi ce livre (accompagné d'une monstration) deixis. (je, ici, maintenant) Ces même remarques peuvent s'appliquer au verbe aller/venir à l'aspect passé composé : « Il est arrivé » |
Ducrot | S'inspire des philosophes du langage Austin et Searle. Il montre l'importance
de la situation discursive et de la pragmatique. Il intègre
la composante pragmatique à la sémantique. On peut dire
qu'il relève d'un structuralisme divergent. On ne peut pas décrire
les énoncés sans faire référence aux conditions
énonciatives.
Il pose l'existence d'un énoncé, noyau sémantique stable pouvant diverger selon les conditions d'énonciation. forces locutoire, illocutoire, effet perlocutoire. « qu'est-ce que tu fabriques ? » = « arrête de faire ce que tu fais ». « justement » « décidément » Ducrot s'intéresse aussi à l'implicite (ce qui
est dit sans dire) : - les sous-entendus Les présupposés sont indéniables mais on peut nier avoir fait un sous-entendu. |
Culioli | Quant à lui est plus dans la mouvance de Benveniste même
s'il s'inspire d'une philosophie stoïcienne, basée
sur les processus et les changements d'états. On s'intéresse
plus au dicible (lekton traduit en latin par dictum) qu'au dit. (Curieusement,
il se rapproche en cela de Saussure et de Chomsky)
Il existe pour chaque énonciateur un faisceau de propriétés physico-culturelles (physique ou social) La Notion est prédicative et modalisable. C'est le monde de l'Instabilité Les mots sont des capteurs de l'organisation du monde. Le Domaine notionnel est déformable. ex. Pour moi, ce n'est pas un chien, c'est une saucisse sur pattes. |
© Henriette
Gezundhajt,
Départements d'études françaises de l'Université de Toronto et de l'Université York à Toronto, 1998
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