Sémantique de la phrase


I Schéma actantiel

Lucien Tesnière (1965), dans Éléments de syntaxe structurale, se représente la phrase comme une pièce de théâtre :


 


À la réalité dramatique :

procès --- acteurs ---circonstances

se substitue une syntaxe structurale :

verbe --- actants --- circonstants

La phrase est représentée par un schéma arborescent, que Tesnière appelle le stemma, dans lequel le noeud verbal occupe un place centrale.

Ainsi la phrase :

Alfred donne le livre à Charles dans la cuisine

sera représentée de la façon suivante :

Les rôles se répartissent ainsi :

donne = verbe
Alfred / le livre / Charles = actants
dans la cuisine = circonstant

Les éléments du schéma actantiel :
 

PROCÈS

renvoi à un faire transformateur

ACTANTS 

toute notion impliquée avec un rôle dans un faire transformateur marqué par le procès du verbe

CIRCONSTANTS

manière, repère temporel, lieu du procès

Processus (ex. dormir

Action (ex. frapper)

acteur 
agent 
objet / patient 
bénéficiaire 
adjuvant 
opposant 
instrument

(Adjuvant et opposant sont des notions proposées par Algirdas Julien Greimas (1966) dans Sémantique structurale et non par Tesnère) 

locatif 
source

On pourrait, par exemple, analyser les éléments de la phrase représentant la scène de notre pièce de théâtre :



II Typologie des verbes

Pour comprendre comment fonctionne le schéma actantiel, il faut savoir qu'il existe trois grandes catégories de verbes :
 
VERBES D'ÉTAT

Ils assignent une propriété à un sujet mais pas de valeurs actantielles proprement dites.

VERBES RENVOYANT À UN PROCÈS

Ils renvoient à un faire transformateur et assignent des valeurs casuelles aux actants.

VERBES MODAUX

Ils permettent d'altérer la relation prédicative, et de ce fait le schema actantiel.

(ex. être, paraître

Jean paraît fatigué

1. Action : procès déclenché volontairement par un acteur (ex. frapper)

Jean frappe la balle.

2. Processus : pour lesquels le sujet agent n'est pas le déclencheur volontaire du procès (ex. dormir)

Jean dort.
Jean éternue.
Le soleil brille.

(ex. pouvoir, devoir, vouloir

Jean peut gagner le mach.




III Valence des verbes

D'après Tesnière, tout verbe est doté d'une valence, c'est-à-dire qu'il est susceptible de régir un certain nombre d'actants.

a. Les verbes monovalents

Ce sont les verbes qui ne régissent qu'un seul actant.

- Si on s'en tient strictement à Tesnière, les verbes d'état comme être, paraître sont généralement monovalents en ce sens qu'ils ne comportent qu'un actant auquel l'énonciateur attribue une propriété. Cependant ils assignent une propriété et non un cas:

- En fait, seuls les verbes renvoyant à un procès ont un schéma actantiel. Ainsi, certains verbes de processus comme briller, tomber ou éternuer peuvent être monovalents. Ces verbes mettent en jeux un agent qui n'enclenche pas le procès de façon volontaire. - Il existe toutefois des verbes d'action n'impliquant qu'un seul actant, comme marcher ou crier. Dans ce cas l'actant est un acteur doué de volition (ou d'intentionnalité). À noter que les verbes monovalents correspondent à ce que la grammaire traditionnelle appelle les verbes intransitifs. Les verbes transitifs seront bivalents ou trivalents.

b. Les verbes bivalents

Ce sont les verbes à deux actants qui font transiter le procès d'un agent/acteur (volontaire ou non) vers un patient/objet subissant ce procès :

c. Les verbes trivalents.

Ce sont les verbes comme dire ou donner qui permettent la transition par l'agent/acteur d'un objet/patient vers un bénéficiaire ou un détrimentaire.

Le prime actant = l'actant servant de sujet au verbe.
La second actant = le complément d'objet direct.
Le tiers actant = le complément d'objet indirect.

Dans certains cas, les verbes trivalents de nature sont utilisés avec deux actants seulement :

On dit alors que la valence du verbe est non saturée.
 
 
 

IV Distribution syntaxique des actants.

En français où les marques morphologiques de cas ont disparu, c'est la distribution syntaxique des éléments dans la phrase qui permettra le plus souvent de définir la valeur actantielle des éléments.

- Traditionnellement, on place l'agent/acteur en position de prime actant, le patient/objet en position de second actant et le bénéficiaire en position de tiers actant.

- Une passivation est un mécanisme syntaxique qui permet de permuter l'actant acteur et l'actant objet.
Du point de vue énonciatif, le patient est thématisé (information connue) et l'acteur est alors rhématique (information nouvelle). - Du point de vue de la voix, seuls les verbes bivalents et trivalents peuvent faire l'objet d'une diathèse passive, réfléchie ou réciproque. - En diathèse active, il arrive que le patient/objet subissant le procès prenne la place du sujet lorsqu'il n'y a pas d'acteur au procès. On a alors affaire à une construction ergative : - Cela provient du fait qu'il existe une contrainte syntaxique du français qui veut qu'au mode indicatif, on ne puisse pas avoir un verbe en position initiale de la phrase.

Aussi, la position de sujet du verbe sera remplie même lorsqu'il y a absence d'actant. C'est le cas pour pleuvoir, neiger, falloir qui sont des verbes sans actants dits avalents et pour lesquels la fonction de sujet est marquée par le pronom il explétif :

Notons, par ailleurs, que contrairement aux actants, les circonstants peuvent souvent se trouver dans des positions diverses dans la phrase. Ils ne dépendent donc pas de la valence des verbes. L'idée de l'unique rection verbale en ce qui concerne les valeurs casuelles sera mise à mal par Noam Chomsky en 1981. Dans la théorie des cas de ses Principes et paramètres (Government and Binding), il dit que, "tout nom doit avoir un cas" et que "le cas est assigné par le temps pour le sujet, le verbe pour l'objet et la préposition pour le complément prépositionnel". Il y voit une différence avec les rôles thématiques qui, eux, sont distribués par le verbe, un peu comme la valence chez Tesnière.
Pour plus d 'informations à ce sujet, je vous renvoie à la partie sur la théorie des cas au site d'Yves Roberge : Une brève introduction à l'analyse syntaxique en grammaire générative.

Pour un bon tour d'horizon du vocabulaire lié à  la sémantique, n'hésitez pas à aller visiter le site créé dans L'espace virtuel de l'Equipe Sémantique des Textes sous la direction de François Rastier:  Le petit glossaire du sémanticien.

© Henriette Gezundhajt, Département d'études françaises de l'Université de Toronto, 1998-2004
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