Le verbe

 

En ce qui concerne le verbe, nous vous renvoyons, pour plus d'informations, aux articles de Paul Laurendeau traitant des catégories verbales.

I Morphologie du verbe

En allemand et en latin il y a deux étapes du point de vue morphologique, la conjugaison et la déclinaison. En français, la partie déclinaison est assurée par la syntaxe et non plus en morphologie.

Les catégories importantes associées au nom (genre, nombre) apparaissent en syntaxe par le biais des déterminants et des adjectifs, alors que les catégories du verbe (temps, aspect, modes...) passent aussi par la morphologie grâce aux conjugaisons.

Ainsi, en français, la seule catégorie ayant maintenu un appareillage perfectionné en morphologie est le verbe.

Clarifions certains termes de la description de la morphologie verbale :



Rappelons qu'il s'agit de marqueurs morphologiques et non de catégories sémantiques.



II Les catégories sémantiques associées au verbe

Catégories marquées par la morphologie verbale

Catégories de la syntaxe entourant le verbe

le temps

l'ordre des procès

l'aspect

la quantification des procès

les modalités

le nombre

la personne

la voix

1) Le nombre et la personne

Le nombre et la personne ne sont pas portés syntaxiquement par le verbe. Sémantiquement, ces catégories sont nominales ou pronominales. S'il y a une marque de pluriel sur le verbe, c'est par un simple phénomène d'accord. Il s'agit d'un écho purement morphologique. Dans :

il y a plusieurs chiens, mais il n'y a qu'une seule course. Le procès est unique.

De même, dans :

à l'oral, c'est le [z] de liaison attaché au pronom qui marque le pluriel.

Par ailleurs, en ce qui concerne la personne, si quelqu'un qui maîtrise mal le français dit :

il pourra y avoir un doute sur le temps de l'action mais pas sur la personne, malgré la faute d'accord.


2) La voix

Selon Lucien Tesnière, la voix correspond à la connexion entre un actant et un procès :

(Adjuvant et opposant sont des notions proposées par Algirdas Julien Greimas (1966) dans Sémantique structurale et non par Tesnière)

Pour plus d'informations sur Lucien Tesnière et le schéma actantiel, voir la partie de ce site consacrée à la sémantique de la phrase.



La voix est une catégorie de syntaxe phrastique et non pas du verbe. Ce qui porte les catégories sémantiques, c'est la nature de l'agent par rapport au procès. La voix qu'on appelle aussi diathèse peut être :

À noter que les verbes intransitifs comme dormir ou éternuer ne peuvent pas se mettre à la voix passive, réfléchie ou réciproque car ils ne renvoient pas à un procès impliquant un patient. Selon la théorie de la valence des verbes de Tesnière, ces verbes sont monovalents car il n'ont qu'un seul actant, l'agent du procès.

Les verbes transitifs comme laver, regarder, saluer impliquant deux actants (l'agent et le patient) sont dit bivalents.

Certains verbes impliquant un patient et un bénéficiaire comme donner dans Pierre donne une pomme à Marie sont dit trivalents. Le sujet sera appelé prime actant, l'objet direct second actant et l'objet indirect tiers actant.

Quant aux verbes comme pleuvoir ou falloir qui n'ont ni agent ni patient ni bénéficiaire, ils sont dits avalents, et ils ne peuvent être employés qu'à la voix active.



3) Le temps

En français, une certaine confusion provient de ce que le terme temps renvoie à deux réalités distinctes :

TEMPS MORPHO-SYNTAXIQUE
(tense)

TEMPS SÉMANTIQUE
(time)

Catégorie morpho-syntaxique liée au syntagme verbal (présent, passé composé, imparfait, futur simple, futur antérieur...)
Les temps employés dans la conjugaison des verbes peuvent renvoyer :
  • au temps sémantique (présent, futur),
  • mais aussi à l'ordre des procès (futur antérieur),
  • ou à l'aspect (imparfait).
La temporalité, autrement dit, le temps dans son déroulement.
  • Présent
  • Passé
  • Futur


Notons qu'il n'y a pas toujours une correspondance terme à terme entre les deux catégories. Dans un exemple comme :

du point de vue morphosyntaxique, il s'agit d'un présent, mais sémantiquement, on a affaire à un passé.

La temporalité :

En linguistique énonciative, le temps dans son déroulement est représenté topologiquement comme une ligne droite. Ce qui précède le moment de l'énonciation (T0) renvoie au passé, alors que ce qui suit T0 représente le futur.

Le temps est déictique, c'est-à-dire corrélé aux conditions d'énonciation (je, ici, maintenant). Si on ne connaît pas le moment de l'énonciation, on ne peut pas assigner une valeur à hier ou à demain, d'où le comique dans la situation du barbier qui afficherait :


On ne peut pas plus comprendre une note qui dirait :

si on ne connaît pas la date à laquelle la note a été écrite.

En fait, le passé et le futur n'existent que par rapport au moment de l'énonciation.

Les valeurs sont extensibles. Selon le contexte, ce qui est marqué comme présent par maintenant peut correspondre au moment de l'énonciation, mais aussi à aujourd'hui, cette semaine, ce mois-ci, cette année, ce siècle... Le présent est une ligne mouvante ; quant au passé et au futur, ils sont perçus comme infinis.

Les valeurs gnomiques ou statives sont représentées sur un vecteur où la panchronie / achronie est marquée par l'absence du point T0.

Du point de vue morphosyntaxique, il est généralement marqué par :

On ne doit pas confondre le temps avec l'ordre des procès :

TEMPS
(déictique, implique la connaissance de T0 )

ORDRE DES PROCÈS
(repérage par rapport à un moment autre que T0)

hier
aujourd'hui
demain
la veille
le jour même
le lendemain




4) L'ordre des procès

  • SUCCESSION DE PROCÈS
  • COINCIDENCE DE PROCÈS

  • Des relations sémantiques découlent de cet ordonnancement :

     

    5) L'aspect

    L'aspect est représenté par un segment de vecteur encadré par un bornage.

    Il s'agit du point de vue sur la durée interne du procès, particulièrement de son déroulement et de ses limites.


    L'aspect peut également être marqué par le sémantisme de la notion lexicale du verbe:

    6) La quantification des procès

    7) Les modalités


    Les logiciens voient la modalité comme une fluctuation entre le nécessaire, le possible et le probable.

    Pour Paul Laurendeau, qui reprend l'idée de fluctuation du réel des logiciens, il existe des modalités objectives et des modalités subjectives, autrement dit liées à l'expérience et aux conditions du monde extérieur ou bien à des critères cognitifs et affectifs internes à l'énonciateur :

    ASSERTION

    MODALISATION

     

    MODALITÉ
    OBJECTIVE

    MODALITÉ
    SUBJECTIVE

    MODALITÉ
    MIXTE

     

    ontique
    (stabilité)

    aléthique
    (fluctuations,
    à être)

    épistémique
    (connaissance du sujet, fluctuation sur le connaître)

    appréciative
    (bon/
    mauvais

    normal/ étrange)

    déontique
    (devoir être)
    – objectif + subjectif (morale, devoir)

    volitive
    (désir, volonté)

    Il fait 12°
    (assertion stricte)

    Il fait, selon moi, 12°
    (subjectif, selon mon expérience)

    Je dis qu'il vient.

    je t'assure qu'il vient.


    Négation d'une fluctuation, prise en charge, prise en compte.

    Proche d'une assertion

     

    possible, probable, certain / incertain . s'appuie sur un étalon extérieur au sujet.

     

    Je vais peut-être visiter cette ville.

    Il va bien venir.

    Il est probable qu'il vienne.

     

    je crois qu'il vient.

    je prétends qu'il viendra.

     

     


    j'ai peut-être visité cette ville.

     

    Je me réjouis qu'il vienne. Tu devrais rendre visite à ta mère.

    Jugement de valeur + être et n'être pas dans le monde.

    Je veux qu'il vienne

    Subjectivité (je réclame) + être et n'être pas dans le monde

     

     

    Cette position est assez différente de celle d'Antoine Culioli qui regroupe les modalités selon le type de commentaire de l'énonciateur :

    Modalité de type 1,
    dite «assertive»


    Elle porte sur la valeur de vérité, relation validée ou non.

    Elle comprend :

    • l'assertion affirmative ou négative,
      Il vient
      Il ne vient pas.


    • l'interrogation pour laquelle il n'y a pas de prise de position

      Est-ce qu'il vient ?


    • l'injonction dans laquelle l'énonciateur simule une prise de position ; «que la relation soit ou ne soit pas».
    • Viens me voir
      Ne viens pas demain.

    Modalité de type 2,
    dite «épistémique»
    (regroupement des modalités aléthique et épistémique)
    Elle porte sur le plus ou moins certain, les domaines du probable, du vraisemblable, du possible, de l'éventuel.

      Il se peut que Pierre vienne demain.
      Si tu me le demandes, je peux éventuellement passer.
      Il va certainement venir.

    Modalité de type 3,
    dite «appréciative»

    Elle porte sur les valeurs de bon/mauvais, normal/anormal, heureux/malheureux.

      Malheureusement, il n'est pas venu.
      Curieusement, il n'est pas venu.

    Modalité de type 4,
    dite «intersubjective» ou «radicale»

    Elle comprend le vouloir, les propriétés, la volonté du sujet de l'énoncé, la pression, la demande que l'énonciateur fait peser sur le sujet de l'énoncé et la permission (déontique), les relations sujet/prédicat à l'intérieur de la relation prédicative et les relations pragmatiques :

      Ce synthétiseur peut imiter un grand nombre d'instruments de musique.
      Pendant un examen, les étudiants ne peuvent pas communiquer.
      S'il ne veut pas manquer la fête, il doit venir.

     

    Il va de soi que ces catégories ne sont pas étanches, et que la plupart des énoncés relèvent de plusieurs modalités à la fois. Ainsi l'injonction de type :

    relève à la fois de la modalité de type 1 et de la modalité de type 4.

    Par ailleurs, la plupart des verbes modaux renvoient à la fois à la modalité de type 2 et la modalité de type 4, avec une pondération au profit de l'une ou l'autre. Ainsi un énoncé comme

    peut signifier :

    ou


    Du point de vue morphosyntaxique, il n'y a pas de vraie correspondance entre les modes et les modalités, mais il est possible d'établir certains liens :

    Quant aux modes dits participe et infinitif, ils sont plus liés à l'aspectuel et à l'ordre des procès qu'aux modalités proprement dites.




    © Henriette Gezundhajt, Départements d'études françaises de l'Université de Toronto et de l'Université York à Toronto, 1998-2013
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